Pas d'internet Féministe sans serveurs féministes - Entretien avec Spideralex

Imatge

Publi­ca­tion origi­nale dans Pant­here Premi­ere

Inter­net n’est pas un « cybe­res­pace » désin­carné, mais un réseau de câbles, de serveurs et de centres de stoc­kage des données, soit une infras­truc­ture mode­lée par des jeux de pouvoir écono­mi­ques et géopo­li­ti­ques. Puis­que l’his­toire du fémi­nisme est indis­so­ci­a­ble de celle de la créa­tion d’es­pa­ces gérés par et pour les femmes, qu’en est-il de la toile ?

Les serveurs sont les maillons essen­ti­els de l’ar­chi­tec­ture du web : au sens large, ce sont des dispo­si­tifs infor­ma­ti­ques, maté­ri­els ou logi­ci­els qui offrent des servi­ces à des client·es. Chaque fois qu’on visite un site web, qu’on envoie un mail, qu’on poste un docu­ment ou une photo, on fait appel à un serveur. Aujourd’­hui, la grande majo­rité des conte­nus du web sont stoc­kés et admi­nis­trés par des serveurs privés, qui appar­ti­en­nent aux entre­pri­ses géan­tes du numé­ri­que. Celles-ci les admi­nis­trent selon leur concep­tion de la sécu­rité, leur morale et leur écono­mie, fondée sur l’ex­trac­tion et la revente des données person­ne­lles. À côté de cette archi­tec­ture centra­li­sée et ultra-capi­ta­liste en existe une autre, précaire, locale et dissé­mi­née : l’ar­chi­pel des serveurs auto­no­mes. Petits, auto­gé­rés et entre­te­nus par des commu­nau­tés souvent béné­vo­les et pres­que toujours mili­tan­tes1, ils propo­sent des espa­ces orga­ni­sés par d’au­tres écono­mies et d’au­tres valeurs. Certains sont pensés pour les besoins spéci­fi­ques du fémi­nisme : résis­ter au cyber-harcè­le­ment, contes­ter la censure opérée par certai­nes

plate­for­mes, propo­ser des lieux de stoc­kage extra­na­ti­o­naux pour des formes d’ac­ti­visme fémi­niste illé­ga­les dans certains pays, archi­ver les traces lais­sées par des mobi­li­sa­ti­ons éphé­mè­res ou perdues.

C’est le cas du serveur Anar­cha, admi­nis­tré depuis la commu­nauté de Cala­fou, « colo­nie éco-indus­tri­e­lle post­ca­pi­ta­liste ». Située à 60 kilo­mè­tres de Barce­lone, cette anci­enne « colo­nie indus­tri­e­lle » – un ensem­ble de bâti­ments héri­tés de l’in­dus­tri­a­li­sa­tion cata­lane au xixe siècle – s’étend sur 28 000 km2. Une tren­taine de person­nes y vivent et y mènent des expé­ri­men­ta­ti­ons qui vont de la micro­bras­se­rie au biohac­king2, en passant par la créa­tion de rése­aux de produc­teurs bio et le déve­lop­pe­ment d’ou­tils tech­no­lo­gi­ques auto­no­mes. Cala­fou se veut un lieu d’in­ven­tion de prati­ques pour sortir du capi­ta­lisme, du patri­ar­cat et des formes d’op­pres­sion soci­ale en géné­ral et produit beau­coup d’écrits pour docu­men­ter les rencon­tres inter­na­ti­o­na­les qui s’y dérou­lent et les idées qui s’y déve­lop­pent. C’est là qu’est né Anar­cha­ser­ver, un serveur fémi­niste auto­géré.

 

D’où vient le nom Anar­cha ?

En travai­llant sur un projet sur la gyné­co­lo­gie, l’une d’en­tre nous a décou­vert l’his­toire de trois escla­ves afro-améri­cai­nes opérées au xixe siècle par l’un des « pères » de la gyné­co­lo­gie, le docteur Marion Sims. C’est une des mani­fes­ta­ti­ons du colo­ni­a­lisme sur les corps des femmes : ce méde­cin les avait opérées plus de trente fois, sans anest­hé­sie, permet­tant certes des décou­ver­tes médi­ca­les impor­tan­tes, mais au prix pour ces femmes de condi­ti­ons d’opé­ra­tion inhu­mai­nes et racis­tes. À l’épo­que, on s’in­té­res­sait déjà beau­coup aux savoirs fémi­nis­tes. On a décidé de donner au serveur le nom d’une de ces escla­ves, Anar­cha. Et comme on est aussi anar­chis­tes… c’était bien trouvé (rires).

 

Comment est né le projet d’un serveur fémi­niste ?

Tout est parti d’un cas très concret : en 2012, on a été contac­tées par une revue fémi­niste en ligne, Pikara Maga­zine, qui travai­lle avec des auteu­res et des perfor­meu­ses. L’une d’elles, Alicia Muri­llo, avait un projet qui s’ap­pe­lait « le chas­seur chassé » : elle marchait dans la rue avec une caméra et quand on la hélait, elle filmait la personne qui l’agres­sait ou la harce­lait sexu­e­lle­ment, puis elle mettait les vidéos en ligne. Le projet a attiré beau­coup de visi­teurs et visi­teu­ses sur le site, qui s’est mis à plan­ter tout le temps. Or les rela­ti­ons avec les tech­ni­ci­ens char­gés de la main­te­nance du site étaient compli­quées : ils n’éta­ient pas sensi­bi­li­sés aux ques­ti­ons fémi­nis­tes et ne se bouge­a­ient pas néces­sai­re­ment pour répa­rer les serveurs rapi­de­ment. Pikara se deman­dait donc s’il ne serait pas possi­ble de deman­der à des cyber­fé­mi­nis­tes de main­te­nir leur site, qui était alors hébergé sur un serveur lambda. Elles se sont adres­sées à nous et on s’est aper­çues qu’on n’avait rien à leur suggé­rer. Mais ça nous inté­res­sait, et on s’est penchées sur la ques­tion.

 

Quand tu dis « nous », c’est qui ?

Nous étions un groupe de person­nes qui vivi­ons toutes sur le même terri­toire, à Cala­fou. En 2013, on a orga­nisé une grande rencon­tre fémi­niste inter­na­ti­o­nale, la Trans­Hack­Fe­mi­nist Conver­gence. Le but était de réunir des fémi­nis­tes inter­sec­ti­on­ne­lles, des queers et des trans pour réflé­chir ensem­ble à nos outils et déve­lop­per collec­ti­ve­ment des tech­no­lo­gies éman­ci­pa­tri­ces, des alter­na­ti­ves pour échap­per aux atti­tu­des et struc­tu­res patri­ar­ca­les et capi­ta­lis­tes. Ça pouvait aussi bien concer­ner le corps, la gyné­co­lo­gie, que la fami­lle, l’uni­ver­sité, les systè­mes infor­ma­ti­ques, les serveurs… 

Pour nous, le genre est l’une des tech­no­lo­gies soci­a­les les plus inva­si­ves jamais créées. Et donc, pour réflé­chir là-dessus, on a proposé deux thèmes prin­ci­paux : Gyné­punk et les serveurs fémi­nis­tes.

Ces rencon­tres ont été un moment impor­tant, pour struc­tu­rer nos imagi­nai­res et poser des ques­ti­ons, déjà très présen­tes dans le cyber­fé­mi­nisme, sur la façon de rendre visi­ble la contri­bu­tion des femmes et d’au­tres iden­ti­tés de genre dans le déve­lop­pe­ment de la science infor­ma­ti­que et des tech­no­lo­gies au sens large. On avait aussi le senti­ment d’un manque : il y avait des femmes et des fémi­nis­tes dans la gestion de plusi­eurs infras­truc­tu­res, comme les radios commu­nau­tai­res ou les outils libres, mais il n’y avait pas de serveurs fémi­nis­tes.

On parta­ge­ait encore autre chose : beau­coup de person­nes vena­ient de la scène de l’au­to­dé­fense numé­ri­que fémi­niste. En effet, beau­coup d’en­tre nous sont forma­tri­ces en sécu­rité numé­ri­que (autour des ques­ti­ons de protec­tion de la vie privée, de sécu­ri­sa­tion de compte ou encore de chif­fre­ment de données, etc.) ou accom­pag­nent les acti­vis­tes numé­ri­ques pour se défen­dre contre les violen­ces de genre en ligne. Les serveurs s’in­tè­grent dans cette pers­pec­tive : on ne peut pas toujours contre­car­rer les coups de l’In­ter­net commer­cial, il faut aussi cons­truire notre propre infras­truc­ture, notre propre espace.

 

Donc l’idée d’Anar­cha est née de ces rencon­tres fémi­nis­tes inter­na­ti­o­na­les ?

À cette époque, on discu­tait beau­coup de ces ques­ti­ons-là, on commen­çait à se repé­rer les unes les autres, à tisser des liens et la scène a énor­mé­ment avancé. Bien sûr il y avait des précé­dents : les Syster­Ser­ver liées à l’Eclec­tic Tech Festi­val, les Same­dies femmes et logi­ci­els libres, une initi­a­tive déve­lop­pée par des copi­nes à Bruxe­lles pour réflé­chir de façon fémi­niste aux logi­ci­els libres, ou les rencon­tres orga­ni­sées en 2013 par le collec­tif d’ar­tis­tes Cons­tant, à Bruxe­lles, qui réunis­sa­ient des serveurs auto­no­mes, radi­caux, d’auto-héber­ge­ment de données. Lors de cet événe­ment, les filles de Cons­tant avaient d’ai­lleurs demandé à chaque projet de réflé­chir si leur serveur avait un genre… Mais la Trans­Hack­Fe­mi­nist Conver­gence a été une rencon­tre intense, d’où est née l’idée du serveur fémi­niste. À l’oc­ca­sion de la rencon­tre, des copi­nes hollan­dai­ses ont réac­tivé leur serveur expé­ri­men­tal Syster­ser­vice. Mais elles travai­lla­ient plus dans l’op­ti­que d’ins­ta­ller des servi­ces pour appren­dre ensem­ble à le faire. Alors que nous, depuis le début, nous voulons loger des conte­nus et offrir des servi­ces à des collec­tifs fémi­nis­tes. Depuis, des rencon­tres autour de l’In­ter­net libre s’or­ga­ni­sent régu­li­è­re­ment. Ça donne nais­sance à beau­coup de projets, assez diffé­rents, puis­que nous n’avons pas toutes les mêmes idées, objec­tifs, posi­ti­ons, etc. La plupart restent assez under­ground, peu font de hosting, d’hé­ber­ge­ment de données ouvert à tous.

 

Comment peut-on consi­dé­rer qu’un serveur a un genre ?

Tradi­ti­on­ne­lle­ment, le langage infor­ma­ti­que a beau­coup de conno­ta­ti­ons qui ont à voir avec le sexe biolo­gi­que ou l’iden­tité de genre : les prises élec­tri­ques « mâles » et « feme­lles »3, le « gender chan­ger »4… Dans mes souve­nirs, la ques­tion posée par les filles de Cons­tant visait surtout à provo­quer la réfle­xion chez les collec­tifs présents lors des rencon­tres – les faire inter­ro­ger la visi­bi­lité ou l’in­vi­si­bi­lité de certai­nes contri­bu­ti­ons, les rela­ti­ons de pouvoir et les privi­lè­ges qui peuvent exis­ter au sein de nos collec­tifs alter­na­tifs tech, très progres­sis­tes, mili­tants des logi­ci­els libres mais où ça commence souvent à grin­cer quand il s’agit de fémi­nis­me… Cela dit, pour moi, le genre importe moins que le fait que ce soit un serveur fémi­niste. Mon idéal serait d’ai­lleurs qu’il n’en ait pas ! (rires) C’est pareil pour nous, les humains : si on pouvait dépas­ser cette ques­tion-là, on avan­ce­rait pas mal.

 

Ok, mais alors c’est quoi, un serveur fémi­niste ?

Pour moi, un serveur fémi­niste, c’est un projet poli­ti­que déve­loppé par des fémi­nis­tes et qui se met au service des collec­tifs fémi­nis­tes et des femmes qui en ont besoin. La gestion des sites web, des données, des mémoi­res, ainsi que les serveurs, sont de plus en plus des champs de batai­lle où se dérou­lent énor­mé­ment d’at­ta­ques : déni de service, censure, shut-down5, injec­tion de virus, etc. Nous devons abso­lu­ment multi­plier les initi­a­ti­ves non centra­li­sées, fémi­nis­tes et poli­ti­sées qui peuvent aider à rendre visi­bles et à main­te­nir acti­ves les voix des femmes et des fémi­nis­tes en ligne. Nous devons aussi leur four­nir les servi­ces dont elles ont besoin pour s’ex­pri­mer, mener à bien leur travail, explo­rer leurs iden­ti­tés, trou­ver des amies et des alli­é­es…

Nous voulons donc admi­nis­trer des serveurs parce qu’ils sont stra­té­gi­ques pour notre auto­no­mie, pour gérer nos capa­ci­tés commu­ni­ca­ti­on­ne­lles et infor­ma­ti­on­ne­lles, pour la préser­va­tion des mémoi­res indi­vi­du­e­lles et collec­ti­ves fémi­nis­tes… Ce sujet est trop impor­tant pour le lais­ser en suspens ou le délé­guer à des collec­tifs tech alter­na­tifs, avec qui nous parta­ge­ons des affi­ni­tés sur les ques­ti­ons poli­ti­ques, mais qui restent très mascu­lins et peu capa­bles d’ac­cu­ei­llir la diver­sité de genres et de cultu­res au sein de leurs­co­llec­tifs. Même si les choses chan­gent, heureu­se­ment.

Je ne veux pas penser qu’In­ter­net n’est qu’un espace violent, misogyne et sexiste. Je pense que ces compor­te­ments se produi­sent beau­coup dans l’In­ter­net commer­cial, sur des servi­ces possé­dés par des Blancs psycho­pat­hes de la Sili­con Valley. Il existe pour­tant de nombreux canaux sûrs, mais ils sont peu connus ou peu fréquen­tés. Ce qui ne change rien au fait que nous devri­ons avoir des serveurs auto­gé­rés par des fémi­nis­tes. En 2019, c’est fou qu’il n’y en ait pas plus. Dans le monde où l’on vit, la ques­tion numé­ri­que est si liée à notre iden­tité que ne pas avoir d’es­pace connecté qui nous appar­ti­enne et que nous puis­si­ons gérer de façon auto­no­me… c’est inqui­é­tant.

 

Aujourd’­hui, les criti­ques de l’In­ter­net commer­cial visent aussi son impact envi­ron­ne­men­tal : le coût poli­ti­que et écolo­gi­que de l’ex­trac­tion des métaux rares, la consom­ma­tion élec­tri­que énor­me… En même temps, le fémi­nisme se rappro­che de l’éco­lo­gie. Est-ce que vous réflé­chis­sez aussi à ça ?

Dans le cyber­fé­mi­nisme, la cons­ci­ence du coût écolo­gi­que de la produc­tion de la tech­no­lo­gie et de son entre­tien est très présente. Aujourd’­hui, on ne peut pas avoir de cyber­fé­mi­nisme sans écofé­mi­nisme, et inver­se­ment. Le mouve­ment cyber­fé­mi­niste a été assez naïf dans les années 1990 : on trou­vait ça chouette d’avoir des ordi­na­teurs pour créer des iden­ti­tés qui alla­ient nous libé­rer et on ne réflé­chis­sait pas du tout aux consé­quen­ces que ça pouvait avoir pour d’au­tres femmes ou d’au­tres mino­ri­tés, des gens qui ramas­sent les miné­raux aux femmes qui les assem­blent dans les maqui­la­do­ras ou les Zones écono­mi­ques spéci­a­les6. Aujourd’­hui, il est évident que le numé­ri­que n’est pas éman­ci­pa­teur pour énor­mé­ment de gens dans le monde.

Ça soulève des ques­ti­ons compli­quées, mais qu’il faut affron­ter. Il va y avoir diffé­ren­tes répon­ses, ça peut être plus d’hé­ber­ge­ment local, de décrois­san­ce… Dans Anar­cha­ser­ver, on sépare les « données vivan­tes », c’est-à-dire celles qui doivent être acces­si­bles en ligne à tout moment (si tu fais un site web public, par exem­ple), des « données tran­si­ti­on­ne­lles », dont tu n’as besoin qu’un temps (comme un ques­ti­on­naire pour un envoi de fichier), et « des données mortes », plus proches de l’ar­chive, qui touchent à la ques­tion des mémoi­res collec­ti­ves. Faire ça oblige à se deman­der quelles données on a vrai­ment besoin d’avoir en ligne, combien de temps, pour qui et pour quel accès. Pour autant, je ne peux pas dire que nous sommes un serveur écolo­gi­que : nous consom­mons de l’éner­gie, nos données voya­gent sur des kilo­mè­tres dans les rése­aux, notre éner­gie ne provi­ent pas d’éner­gies renou­ve­la­bles comme c’est le cas pour d’au­tres serveurs.

 

On trouve quoi comme servi­ces dans Anar­cha ?

Les données vivan­tes sont sur une premi­ère machine virtu­e­lle7 : on héberge le Wiki8, où tout le travail d’Anar­cha est docu­menté, ainsi que les rencon­tres sur les serveurs fémi­nis­tes et un petit Word­press9. Pour les données tran­si­ti­on­ne­lles, on a insta­llé sur une seconde machine virtu­e­lle du Yuno­Host10, pour avoir des servi­ces permet­tant d’or­ga­ni­ser des rendez-vous, de chif­frer des messa­ges… Et on a une troi­si­ème machine virtu­e­lle, sur laque­lle on veut insta­ller une base de données d’ima­ges, qui se rappro­che de l’ar­chive. On a aussi en projet une « anar­chive », où on archi­ve­rait des pages mortes fémi­nis­tes. Beau­coup ne fonc­ti­on­nent plus, ne sont plus en ligne ou sont en sommeil sur des ordi­na­teurs. Pour­tant, elles font partie de l’ar­ché­o­lo­gie du mouve­ment fémi­niste. Cette anar­chive rassem­ble­rait des copies stati­ques de ces pages : on ne pour­rait plus navi­guer dessus, mais elles reste­ra­ient visi­bles. On a déjà mis en ligne un index de mémoi­res fémi­nis­tes11.

Qui fait appel à vous ?

Concer­nant les données vivan­tes, c’est plutôt nous : on héberge nos données. Concer­nant les données tran­si­ti­on­ne­lles, on offre nos servi­ces tran­si­ti­on­nels à des rése­aux d’ac­ti­vis­tes, qui luttent pour l’ac­cès à l’avor­te­ment, travai­llent avec des commu­nau­tés indi­gè­nes… Les gens vien­nent à nous par le bouche-à-orei­lle : les rése­aux fémi­nis­tes sont amples et bien infor­més ! Ce qui nous inté­res­se­rait, ce serait de les loca­li­ser dans des légis­la­ti­ons diffé­ren­tes, où les bases web sont mieux proté­gées.

Par exem­ple, en Améri­que latine, de nombreu­ses acti­vis­tes de l’avor­te­ment sont mena­cées12. Elles font l’ob­jet d’at­ta­ques qui mena­cent leur inté­grité, numé­ri­que et physi­que. Mais elles sont obli­gées de main­te­nir des données sur le nombre d’avor­te­ments illé­gaux, les condi­ti­ons dans lesque­lles ils se dérou­lent, car il n’existe pas de données léga­les là-dessus. Elles appli­quent de nombreu­ses stra­té­gies de sécu­rité pour collec­ter les données, mais beau­coup moins en ce qui concerne le stoc­kage et l’ac­cès numé­ri­que. Elles les conser­vent souvent dans de mauvai­ses condi­ti­ons : leurs bases de données ne sont pas proté­gées ou bien elles se trou­vent héber­gées dans des pays aux légis­la­ti­ons hosti­les… Pour­tant, même si elles anony­mi­sent les données ou utili­sent des pseu­dony­mes, ça reste dange­reux. C’est très impor­tant de leur offrir un moyen de stoc­kage sûr.

 

Une des parti­cu­la­ri­tés d’Anar­cha, c’est que le serveur est aussi un vrai lieu, à Cala­fou. Pour­quoi avez-vous créé cet équi­va­lent physi­que ?

On a fait ça pendant une rési­dence artis­ti­que, avec une copine venue pour six semai­nes à Cala­fou. On a trouvé un endroit déla­bré et on l’a réha­bi­lité, pour qu’il devi­enne un espace de vie et de rencon­tres et qui physi­ca­lise le serveur. Quand tu arri­ves dans cet espace, tu dois te logger, tu écris ton login physi­que­ment quel­que part, il y a des miroirs, comme en ligne tu vas avoir des serveurs miroir13, il y a un fire­wall14 sauf que c’est juste un réchaud où on brûle du bois pour se chauf­fer… C’est rigolo, et c’est une façon de créer un espace habi­ta­ble et appro­pri­a­ble par les cyber­fé­mi­nis­tes qui ont besoin d’un lieu où se poser et se concen­trer. Et puis ça crée du commun, une ressource à parta­ger, c’est une façon joyeuse de donner à voir en quoi consiste ou peut consis­ter une machine virtu­e­lle. C’est un acte de soin, d’amour, de tendresse radi­cale pour soi et poten­ti­e­lle­ment celles qui pour­ra­ient un jour en avoir besoin. Enfin, tout ça, c’est mon opinion person­ne­lle : on s’est lancées là-dedans sans vrai­ment discu­ter de nos moti­va­ti­ons, pour nous, c’était peut-être une évidence.

 

[1]  « Les serveurs auto­no­mes », Tati­ana de la O, Ritimo, <ritimo.org/Les-serveurs-auto­no­mes>.

[2]  Expé­ri­men­ta­ti­ons avec l’ADN ou la géné­ti­que hors d’un cadre univer­si­taire, gouver­ne­men­tal ou commer­cial.

[3]  Les prises élec­tri­ques peuvent être mâles ou feme­lles : les prises feme­lles, en socle mural ou en rallonge, distri­bu­ent ou rela­ient le courant élec­tri­que, quand on y encas­tre des prises mâles, ou « fiches », dont le format leur corres­pond (oui, bonjour le sexisme de ton insta­lla­tion élec­tri­que courante).

[4]  Adap­ta­teur ou câble permet­tant de chan­ger une prise feme­lle en prise mâle et vice versa.

[5]  Opéra­tion visant à faire fermer un site.

[6]  Les maqui­la­do­ras sont des usines d’as­sem­blage implan­tées au Mexi­que, à la fron­ti­ère avec les États-Unis, dans des zones offrant des avan­ta­ges doua­ni­ers aux entre­pri­ses. Les condi­ti­ons de travail y sont léoni­nes et très dures. Les Zones écono­mi­ques spéci­a­les sont des régi­ons géograp­hi­ques offrant des condi­ti­ons écono­mi­ques avan­ta­geu­ses aux entre­pri­ses, ce qui se traduit souvent par des condi­ti­ons de travail abusi­ves pour les employé·es.

[7]  Une machine virtu­e­lle fonc­ti­onne comme un ordi­na­teur, mais sans maté­riel physi­que : c’est un envi­ron­ne­ment logi­ciel fonc­ti­on­nant en auto­no­mie, hébergé sur un ordi­na­teur normal, appelé « hôte ».

[8]  Appli­ca­tion web qui permet la créa­tion et la modi­fi­ca­tion colla­bo­ra­ti­ves de pages à l’in­té­ri­eur d’un site web.

[9]  Logi­ciel open source permet­tant de créer faci­le­ment un site web.

[10]  Un service permet­tant d’hé­ber­ger soi-même des données.

[11]  <repo­si­tory.anar­cha­ser­ver.org>

[12]  Voir le rapport publié par Tacti­cal Tech <tacti­cal­tech.org/media/Womens­bo­dies.pdf>.

[13]  Serveurs créés pour héber­ger des conte­nus mena­cés de dispa­ri­tion, souvent utili­sés pour éviter qu’une infor­ma­tion ne soit suppri­mée ou censu­rée.

[14]  « Pare-feu », logi­ciel permet­tant de faire respec­ter la poli­ti­que de sécu­rité d’un réseau, qui défi­nit quelles commu­ni­ca­ti­ons et flux de données sont auto­ri­sés.